Une fois n'est pas coutume, je vous présente une platine Sony CDP-337ESD de 1988.
J'ai été intrigué par une Sony haut de gamme qui intègre des puces de conversion ... Philips!
Je l’ai acheté à un charmant monsieur qui m’a dit qu’il était le premier propriétaire (trop cool). Et puis il m’a aussi dit être électronicien, et m’a fait la remarque ”J’ai compris que vous savez ce que vous achetez”. Et si au départ j'achetais uniquement un Sony haut de gamme avec une puce Philips, je ne pensais pas tomber sur une ingénierie aussi spéciale. Suivez le guide!
Je commence par une photo de la bête de presque 12kg:
Voici les points d'intérêts de cette platine:
- Conversion Philips: La conversion est en effet assurée par la légendaire puce Philips TDA1541, dans sa version améliorée "A" qui accepte un flux plus rapide et donc permet l'utilisation d'oversampling 8x, au lieu de 4x auparavant. C'est une puce stéréo et ce Sony s'en paye deux dans ce lecteur et elles fonctionnent en mode parallèle.
- Conversion décalée: Si les deux puces TDA1541A utilisées ne sont pas des versions couronnées, la face avant du Sony arbore un fier "STAGGERED 4 D/A CONVERTER SYSTEM". En effet, les deux puces stéréos convertissent un signal digital "décalé” (staggered), chaque canal de chaque puce stéréo s’occupant d’une partie du flux numérique en provenance du filtre d’oversampling 8x (voir plus loin l’explication détaillée). D’un point de vue ingénierie, c’est très élégant, et c’est surtout identique au monstrueux DAC Sony DAS-R1.
- Oversampling 8x: C'était nouveau à l'époque et ici c'est un chip Sony (CXD1144) qui s'occupe de l'oversampling. Yamaha avait sorti le sien aussi, donc c'était un peu la bataille des composants à l'époque. Les performances données par Sony montraient effectivement un bon technique en avant. J'irai mesurer ça et la comparer au chip Yamaha.
- Mécanique KSS-190: Pas si connue que ça, j'ai l'impression. Cette mécanique est tout métal (bloc optique BU-10). La construction, le silence de fonctionnement (y compris à l'ouverture) et l'incroyable rapidité d'exécution (jamais vue pour moi, même sur la Philips CD-Pro) participent au plaisir d'utilisation. Cette mécanique a équipé peu de lecteurs et drives, mais quelques légendes, notamment l'énorme Onkyo DX-G10 ou encore le monstrueux drive Accuphase DP-80L. Rien que pour cette mécanique, je pense que ce lecteur mérite l'achat.
- Chassis Gibraltar: La KSS-190 est suspendue et repose sur un chassis de calcium de carbonate (composant majeur du marbre et autres calcaires) en résine renforcé de fibre de verre, que Sony nomme Gibraltar. Il repose lui-même sur un double fond métallique qui participe grandement au poids du lecteur.
Spécifications (copie du manuel de l'utilisateur)
- Frequency characteristics: 2 Hz to 20 kHz ± 0.5dB
- Total harmonic distortion factor : Less than 0.0025%
- Dynamic range : More than 98dB
- Signal to Noise ratio : More than 110dB
- Channel Separation : More than 100dB
- Output level : 2 Vrms (Fixed)
- Output level : 0 Vrms - 2 Vrms (Variable)
- Headphone output level : 28 mw (32 Ω)
- Power consumption : 22W
- External dimensions : Width 430x Height 125x Depth 375 mm
- Weight : 11.5kg
- Remote Wireless Remote Control : RM-D650
Ce lecteur est entièrement fait de métal et a une allure très haut de gamme:
La mécanique est tout alu, sa face avant montre la plaque frontale du plateau à fixation par vis, ce n'est pas du fake. Autour de cette plaque, il y a une isolation souple qui fait jointure et donc isole l’intérieur de l'extérieur (notamment pour les poussières). C'est ce que j'appelle une attention particulière aux détails:
Derrière, on doit choisir entre sorties analogiques ou sorties numériques. Il y a un petit bouton pour passer d'un mode à l'autre. C'est un peu curieux car cela empêche la comparaison directe entre le DAC interne et un autre externe. Mais peut être que la volonté de Sony était de protéger les signaux respectifs en les désactivant (je n'ai pas encore vérifié dans le document de maintenance si c'est le cas):
Passons rapidement à l'intérieur pour trouver une PCB toute blanche, c'est surprenant. Apparemment il y a eu d'autres versions vertes. La construction est évidemment sérieuse et sans fioritures. On ne le voit pas forcément bien, mais le capot est suspendu par un grand nombre de feutrines. On voit mieux sur la photo ci-dessous le double cloisonnement entre la carte et la mécanique:
Tous les composants sont triés et de bonne facture, Sony n'allait pas se tromper. L'alimentation est soignée, la photo précédente montre aussi le gros transfo:
La doublette des fameuses TDA1541A. Si elles ne sont pas des "S1", il n'y a pas non plus d'indication "R1". Donc on peut supposer que ce sont les versions intermédiaires, c'est-à-dire celles avec l'erreur de linéarité différentielle inférieure à 1 LSB, comme le mentionne la documentation technique de Philips pour cette puce. Les capas de découplages (pourpres) attachées aux deux puces TDA sont également de bonnes facture, la puce Philips n'a pas toujours le droit à de telles attentions. Cette puce ne permet pas de réglage de distorsion, contrairement aux puces BurrBrown de la même époque:
Voici une dernière vue sur la mécanique. On voit mal sur la gauche, mais les deux courroies souples sont sous la mécanique. Donc il faut la sortir entièrement et la retourner pour le remplacement:
Ecoutes et autres considérations
Comment donc Sony en est venu à intégrer des puces Philips? Si je peux trouver 10 bonnes raisons, je suis presque certain d'être à côté de la plaque à chaque fois. D'un gentleman agreement, à un manque de DACs qui supportaient l'oversampling 8x, en passant par le besoin de démontrer la puissance du filtrage de la puce Sony CXD1144 sur d'autres architectures, je peux conjecturer un moment dans le vide. EDIT: Après investigation, voir plus bas pour la vraie explication (au moins partielle).
Ma première rencontre avec la Phillips TDA1541A remonte au Marantz CD-60, qui s'accompagnait du filtre d'oversampling 4x SAA7220. Cet ensemble m'avait laissé un excellent souvenir, comme j'avais alors écrit. Inutile donc de dire qu'une doublette du même DAC avec un oversampling aux stéroïdes, ça ne pouvait que me tenter, et en plus dans un Sony construit comme cuirassier!
Je vais en reparler lorsque j'en viendrai aux mesures, mais j'ai pas mal comparé ce lecteur au Yamaha CDX-1110. Ces deux lecteurs sont en effet de la même année et si le Yamaha embarque sa propre puce d'oversampling 8x, elle s'accouple à des DAC haut de gamme BurrBrown PCM56K. Le prix des deux lecteurs étant similaire, la comparaison n'en est que plus intéressante à cause des différences techniques dans l'architecture de conversion.
Je n'ai réalisé que des écoutes au casque pour l'instant (Beyer DT-770 Pro 80 ohms). Pour les comparaisons, j'ai d'abord mesuré les sorties respectives et j'ai réussi à les ajuster à 0.2dB près, c'est pas mal. Mais heureusement que le Yamaha a un réglage nettement plus précis que le Sony (0.5dB précis par pas, contre environ 1dB par pas pour le Sony, sauf quand il décide un peu plus ou un peu moins). Pour ne pas me détruire les oreilles, j'ai réglé le niveau avec une atténuation de -26dB dans les deux cas (vérification du réglage à l’aide de mon interface audio).
J'ai utilisé le formidable album de Simple Minds - Street Fighting Years (release CD d'origine - 1989), parce que c'est un enregistrement difficile. Il est très nuancé, la production est extrêmement luxueuse, je trouve. Il varie les passages agressifs et distordus, à d'autres moments très doux et ronds, et avec une forte composante stéréo, des moments de silence complet, etc... Il y a dans cet album une variété sonore et artistique assez rare.
Et bon, entre les deux lecteurs, il m'a été impossible de faire la différence. Et pourtant, bien des fois j'étais là "Ah, ici je ne crois pas que le Yam descendait aussi bas" (si, si!), ou alors "Tiens, cette sifflante est absente sur le Sony" (non, non!), etc... Donc j'ai sorti le disque d'un lecteur pour le mettre dans l'autre je ne sais combien de fois. Et puis j'ai cessé ce manège, juste pour prendre plaisir à la musique sur le Sony.
Ainsi, sur le dernier album de Laurent Garnier - 33 Tours et Puis S'en Vont (2023), il y a des effets de reverb et stéréo combinés très prononcés qui sont très fins car assez bas en niveau par rapport au reste du signal. Et le Sony n'a aucun mal à ce petit jeu, sans surprise. Et rebelote sur Oscar Peterson Trio - We Get Requests (version UHQCD - UCCU-8001-8045 / UCCO-8013-8017, la meilleure!), ce n'est que du plaisir à tous les étages.
A force de comparer des architectures de conversion avec leurs diverses puces, j'en viens de plus en plus à la conclusion que contrairement à ce que je lis ici ou là, il n'y a pas de sonorité d'un DAC. D'ailleurs, un DAC seul n'est pas grand chose, il vient avec son filtrage, qu'il soit numérique ou analogique (ou les deux). Et je pense, encore à la lumière des résultats de ce Sony, que c'est une mise en oeuvre technique de qualité qui garantit un résultat sonore (bruit bas, pas de perturbation secteur, composants de qualité, isolation électrique et mécanique, ...).
Encore une fois, ce lecteur laisse la musique s'exprimer. Les défauts sont ceux du mixage et du mastering des CD Audio, certainement pas ce que ce lecteur peut ajouter comme défauts infimes. Mais bon, pour ça, il suffit de mesurer pour savoir où on se trouve.
Alors à tout de suite la suite!